Monsieur Ecriture était un habitant de l'Irak, et il réalisa une chose: à part la parole, les gens n'avaient aucun moyen de se transmettre des messages. Il faut dire qu'à l'époque, le téléphone portable n'existait pas. Du coup, il choisit de prendre son bic 4-couleurs et une copie blanche format A4, dont il n'avait que très peu d'utilité, et griffonna des dessins qu'il tendit au boulanger du coin.
L'écriture était née. Au début utilisée pour des informations purement pratiques, comme pour compter le nombre de boeufs du cheptel, les textes devinrent vite plus compliqués, avec des sujets, des verbes, et même des compléments d'objets directs. Les dessins qui représentaient en premier lieu des objets ou des actions perdirent leur sens pour ne garder que le son, et les idéogrammes devinrent des lettres, unité bien plus maniables, mais complexes à appréhender.
L'écriture fut un bon pour l'humanité. Après le feu, l'outil, ou encore l'agriculture. Du coup, la préhistoire devint histoire, et nous, nous y sommes toujours, en attendant patiemment d'entrer dans la posthistoire, sans savoir vraiment quelle invention majeure marquera son début.
Sauf qu'il reste un hic. Un problème de taille. Un problème qui équivaut grosso-modo à l'invention des poubelles sans que les déchets n'aient été inventés, ou pire, à l'invention de l'agriculture alors que la moissonneuse-batteuse n'existe pas.
L'écriture permet de transmettre des messages à n'importe qui. Avant chaque message était unique, mais avec les copistes, l'imprimerie, et maintenant internet, les messages sont devenus diffusables au plus grand nombre. Par exemple, une fois qu'un auteur a publié un de ses romans, il peut se considérer fier quand son livre a été transmis au plus de gens possibles.
Qu'en font les gens? Aucune idée. Certains calent leurs buffets, mais il y a tant et tant de livres qui sortent que le nombre de buffets à caler reste limiter. On peut imaginer aussi que le livre serve à allumer le feu du barbecue en été, quand il n'y a plus de papier journal ni de cahiers de cours à flamber, mais là encore, il n'y a pas assez de barbec'. Peut-être est-ce que certains en font une collection qu'ils se plaisent à exposer à leurs invités, mais c'est tout.
L'écriture fut inventée, mais pas son pendant qui est la lecture. Sur cette planète, depuis 50 siècles, je suis persuadé qu'il n'est pas un être qui ait lu un livre. Ce qui est, vous en conviendrez, problématique pour deux professions, à savoir les profs de français, et les bibliothécaires.
Combien de fois n'ai-je pas entendu dans le bus des lycéens acnéico-purulents éructer de joie à l'idée qu'ils n'avaient pas lu Madame Bovary de Flaubert? Leurs voix déraillantes furent autant d'insultes à mes oreilles, à l'époque où je pensais encore qu'ils existait des lecteurs en ce bas monde. Mais j'étais jeune, je me faisais des illusions.
Le problème est que personne n'a jamais lu un seul livre. Peut-être est-ce que personne ne lira.
Cet article se situe très justement à la suite du triple sur Mein Kampf. Car c'est ce livre qui m'a fait réaliser que le livre ne servait que son auteur. Mein Kampf, comme je vous l'ai déjà dit, fut distribué à l'ensemble de la population Allemande. Il est impossible qu'aucun allemand n'aie pas eu à l'époque ce livre entre les mains. Peut-être me direz-vous que justement, comme il était distribué et « imposé » aux citoyens, ces derniers ne le lisaient pas. Peut-être.