jouer avec le feu

Mais quel est donc ce groupe aux origines allemandes ? D'un premier point de vue, ils inspirent la crainte. Une angoisse presque atavique : nos parents ont été inquiets par les blindés de la RDA, nos grands-parents ont vécu l'occupation des armées de bons aryens, nos arrières-grands-parents vouaient une haine féroce contre les casques à pointe, nos arrière-arrière tremblaient devant Bismarck.

 

Bref, rien ne joue en leur faveur. D'autant que leur musique n'a rien de pacifique, leurs concerts dans lesquels les lances-flammes occupent une place prédominante, et surtout leur imagerie, ont de quoi laisser pantois. La langue allemande, couplée à la voix grave et forte du chanteur ne sont pas très rassurants non plus.

Rammstein, vous l'aurez compris, est un groupe de six mâles bourrés de testostérone, muscles saillants, qui sévissent sur la scène musicale mondiale comme des ouvriers peuvent sévir dans une usine de métallurgie. Enfin, apportons un léger bémol à cet endroit précis. Il y a certes six membres dans le groupe, mais seulement 5 font figure de grands baraqué, le chanteur, Till Lindemann étant bien évidemment le plus épais de tous.

 

Parmi ces bestiaux, donc, il y a un binoclard, sec comme un bout de bois, qui semble ne pas être à sa place. Spécialisé dans le synthétiseur, et tout les sons électroniques, il joue le faire valoir du groupe, et occupe une place à part. Surexcité sur scène, il n'hésite pas à entrer dans un chaudron, comme vous l'avez vu dans le précédent article, ni à monter dans un canot pneumatique pour se faire transporter à bout de bras par la foule. Dans les clips, il a aussi une place importante, mais à part : à la fois victime, ridicule, mais aussi honoré.

 
Bref, un groupe soudé, contrairement à d'autres qui reposent sur un seul membre charismatique. Et cette fusion, nous pouvons le voir dans les clips, où chacun joue un rôle. Certains clips mettent en valeur leurs liens de fraternité, comme la chanson « Ohne dich » qui les fait gravir une montagne et affronter les éléments pour enterrer un des leurs, ou « du hast » qui met en scène les retrouvailles chaleureuses de malfrats. L'union pour faire face à l'adversité, comme dans le film de « Sonne », où ils deviennent les nains d'une Blanche-Neige sadique.

Petite nuance à apporter à ce tableau idyllique d'amitié franche et masculine, l'un des dernier clips montre la mort du chanteur, et montre les autres membres s'entredéchirer après avoir inventé les scénarios qui auraient pu entraîner la mort. La chanson en question porte d'ailleurs le nom « Haifisch », « requin », à prendre avec second degré, bien évidemment!

Peut-être l'avez vous compris dans ce listing, la puissance des clips réside surtout dans des idées fortes, et pas nécessairement dans des histoires complexes. Entre les nains maltraités et exploités par une Blanche-Neige qui sniffe l'or (« Sonne »), le groupe qui apparaît obèse d'avoir trop profité du succès dans « keine lust » (« plus envie »), le groupe à poil pour chanter « homme contre homme », ou encore parodiant les clichés des films de cul.

 

Certains de leurs clips portent des messages politiques prononcés, il y a bien sûr celui qui évoque le mariage des hommes d'Eglise, « Rosenrot », et « Amerika » sur l'impérialisme Américain. Enfin, « Ich will » met en scène un groupe de gangsters prenant d'assaut une banque ultrasécurisée non pas pour de l'argent, mais seulement pour passer à la télévision et devenir célèbres.

Fut un temps, j'aurais surtout été attiré par les messages politiques du groupe, mais je dois dire qu'à présent, mon goût s'est élargi, ce qui est une bonne chose, car Rammstein n'est pas le groupe le plus politique qui soit. Leur seule chanson vraiment politique se nomme « links 2-3-4 », et met les points sur les I concernant les rumeurs selon lesquelles ces allemands seraient néonazis.

Les thématiques surtout développées ont à voir avec l'amour. Enfin, pas l'amour cuicui les petits oiseaux, je t'aime, tu es belle, etc... Des histoires d'amour sordides, contre nature. La soumission occupe une place très importante, bien sûr, mais il n'y a pas que ça. En vrac, je peux citer la zoophilie, l'inceste, l'hermaphrodisme, l'homosexualité, un petit frère qui vient masturber son grand frère, la passion pour la destruction totale, le désir de tout posséder, la pyromanie, ou encore l'apathie et le tourisme sexuel, la claustration et l'emmurement. Tout y passe. L'amour, en tout cas, n'est considéré que comme un sentiment violent, extrêmement lié à la douleur.

 

La qualité d'écriture de Rammstein réside dans la peinture d'images très fortes, et avec une grande dimension poétique. L'histoire dans laquelle le grand frère demande à son petit frère de « jouer avec lui » est poignante malgré le tabou qu'elle lève. De même, une autre chanson décrit un homme qui est obligé de se jeter du pont par la foule alors qu'il ne voulait que regarder l'eau passer. Sans vouloir tout citer, parce qu'il y a quand même pas mal de chansons, j'évoquerais en dernier celle dans laquelle on voit un cadavre assis devant un piano.

Vous l'avez compris, l'art de Rammstein réside dans l'énergie, et la puissance, que ce soit dans sa musique, ses clips, et ses paroles, mais je pense que le lieu où on voit toute leur force éclater est sans doutes le concert. Devenus maîtres dans l'art de la pyrotechnie, ils ont développé au fil du temps des techniques incroyables.

Entre les fontaines de feu classiques, on peut les voir arborer des lances-flammes, des masques pour cracher du feu, chanter avec les micros en feu, ou même porter des manteaux de flamme. Bref, tout ce qu'on peut faire brûler brûle. La mise en scène est absolument spectaculaire, et justement, il se trouve qu'ils viennent de débuter une nouvelle tournée. Et, avide de grand spectacle, j'ai pris mon billet pour aller les voir.

 

Voilà donc le pourquoi du comment de mes deux articles sur ce groupe, ils annoncent le prochain concert auquel je vais assister. Voilà bien longtemps que je n'ai pas assisté à un concert digne de ce nom, et je dois dire que ça me manquais, mais d'ici trois mois, je serais à Bercy pour les voir. Mais ne vous inquiétez pas, de retour, je vous raconterais tout ce que j'ai vu, comme pour mes précédents concerts!

(première publication : 26/12/2011)