J'ai perdu un ami !

Il y a quelque jours, je me suis rendu à une réunion tout public. Il était prévu une projection d'un film documentaire sur l'invasion imminente des puces électroniques dans nos cartes de transport, suivi d'un débat animé.
 

 
 
Ayant écrit un article à ce sujet (venez le voir ici!), je me suis dit que j'avais des choses à dire. De plus, j'étais convaincu que mes concitoyens qui participeraient au dialogue ne seraient pas d'accord avec moi, mais pas d'accord du tout. Du coup, cette réunion était un bon moyen de faire jouer mon esprit de contradiction ailleurs que sur ce blog (oui, je me mets à vous faire des infidélités). J'avais devant moi une arène de contradicteurs que je ne pouvais décemment pas ignorer. La richesse de mon esprit m'imposait de partager mes arguments géniaux.



Je m'y suis donc rendu, le sourire aux lèvres. Le reportage était un ramassis d'interventions tronquées, de malhonnêteté intellectuelle, d'image d'archives utilisées n'importe comment. Bref, une insulte à un esprit normalement constitué, utilisé pour faire flipper l'auditoire. Pour faire simple, il disait que le système de reconnaissance par puce venait de la guerre, donc que c'était mal, et en conclusion, le narrateur voyait déjà les humains totalement robotisés.

En soi, le reportage était une mine pour ma contradiction.



L'assistance se divisait ainsi : tout le monde était convaincu de l'horreur des cartes de transport à puce, à l'exception d'un adjoint au maire présent pour l'occasion, et de moi, dans un état d'érection cérébral.

 
 
Après au film, nous nous sommes disposés en cercle pour mieux parler, et c'est là que j'ai vu un ancien ami. J'avais perdu de ses nouvelles et ne l'avais pas vu depuis longtemps. Il m'a reconnu, et m'a fait un signe de tête l'air de dire : « toi aussi tu ne veux pas te faire contrôler par ces monstres technocratiques, c'est bien, je te reconnais bien là! ». Si il avait vraiment su...



L'organisateur de la projection a parlé, suivi de l'adjoint au maire. Je dois dire que cet homme n'était pas des plus convaincants, il n'a pas réussi à expliquer pourquoi les cartes à puce remplaçaient les tickets, alors vous imaginez le reste!



Puis, ce fut à moi. Après une très longue introduction, j'ai demandé, l'air des plus sceptique à quoi ça servait qu'il sachent tout de ma vie, et ce qu'ils feraient de ces données, pour conclure que je n'y croyais pas le moins du monde à ce spectre de la surveillance.



L'intro laissa tout le monde perplexe, mais c'est ensuite que tout se gâta. Je surveillais les regards, et à mon point final tout le monde me tomba dessus pour tenter des réponses sans queue ni tête, et en définitive, ne pas répondre du tout. Leurs propos emmêlés étaient des plus confus. Bien sûr que si, ça servirait, aux pubs, par exemple, te tracer un profil type de ma personne. Sauf, rétorquais-je, que ce profil ne disait rien de moi. Tel bus que j'avais utilisé ne décrivais en rien mes buts personnels.



Je surveillais le visage de mon vieil ami. Il se décomposa le temps de la conversation, jusqu'à exprimer du dégoût pure et simple. C'était décidé, il s'était trompé sur mon compte, je ne correspondais pas à l'image de mon passé qu'il s'était fait de moi. Pas ou plus.
 

J'ai perdu un ami pour avoir affirmé mes convictions, et voyez-vous, je n'éprouve aucune sorte de regret. Peut-être même de la fierté, maintenant que je repense à son regard en état de décomposition.



Alors que tout le monde me répondait, outré, il resta en retrait, fuyait la bataille, sachant peut-être que je n'aurais pas raté ses propos. Il préféra, la suite du débat s'acharner contre le pauvre adjoint, lui vomir sa haine dans des propos les plus insensés (il lui reprochait d'avoir rasé des tours insalubres surpeuplées et vétustes, par exemple). Mais j'avais conscience que sa haine aurait mieux fait de se tourner contre moi.



On dit que ce qu'on cherche dans ses amis, c'est un miroir. On cherche les points de correspondances pour pouvoir se mirer. Je crois que c'est vrai, et d'autant plus depuis cette soirée, où j'avais brisé, l'espace d'une tirade, le miroir qu'il voyait en moi. Le temps avait figé sa représentation de moi, j'étais venu, avec mon génie, pulvériser tout ce à quoi il croyait de moi. J'entendais cette réplique toute faite : « tu as bien changé ».
 

Non, je n'ai pas changé, j'ai toujours été celui que tu voyais, sauf que ce soir là, j'ai pris plaisir à détruire ce que tu croyais me concernant. Et j'aime infiniment ça!

(première publication : 27/9/2011)