Pour des raisons que je ne m'explique pas, j'éprouve depuis quelque semaines un élan d'affection pour toi. Je ne saurais te dire comment tout cela est venu, mais j'éprouve en tout cas une vive et profonde tristesse à l'idée que jamais je ne pourrais te croiser.

La seule véritable conversation que j'ai eue avec toi eu lieu quelque mois après ta mort, dans un rêve où tu me disais que là où tu étais, tu ne souffrais plus. Certainement le fruit de mon imagination, mais je ne peut m'empêcher de penser, encore aujourd'hui que notre échange ne fut pas une simple rêverie d'enfant.

Pour tout dire, je ressens de la reconnaissance pour la lutte que tu as menée, et que j'oppose souvent à ce que firent tes enfants. Tu as participé à la libération de mon pays, quand la génération suivante, sous prétexte de liberté, a dérégulé, et démantelé tout ce qui faisait la stabilité de la société, en instaurant la liberté totale des marchés, pour aboutir à la crise que nous connaissons.

En conséquence, tout vous oppose, mais mon affection ne s'arrête pas là. En effet, depuis quelque temps, l'époque de ta jeunesse est devenue attractive, à la mode. Pour exemple, j'évoquerais certains chanteurs qui se sont rués vers l'entre-deux-guerre, l'ont récupéré, sans doutes distordu, pour en garder un unique aspect, celui des cabarets, qui n'a peut-être rien à voir avec ce que tu as connu, sans doutes même. Mais le fait est que ton époque est devenue fashion.

D'ailleurs, j'ai fêté en début d'année le jour de l'an, sur le thème dans années 30, et si il y a 5 ans, on m'aurait dit que je ferais la fête avec en image de fond, la vie de mes grands-parents, je n'y aurais pas cru une seconde. Et pourtant, ce fut le cas, tout le monde habillé dans les vêtements de soirée mondaine de l'époque, fume-cigarette démesurés pour les filles, costumes trois pièces et bretelles pour les hommes, le tout sur un fond de jazz pour donner un aspect plus vrai à l'ambiance, même si à minuit, tout le monde a sorti son anachronique I-phone, pour consulter ses messages.

Mais cette attirance pour ton époque se retrouve aussi dans les tenues vestimentaires. La mode n'est plus aux casquettes, mais aux chapeaux, et mes contemporains ont délaissé le suite à capuche, pour endosser des pulls à losanges. Chose impensable il y a à peine 5 ans, je le redis, mais qui s'est quand même produite.

Je me suis moi-même laissé tenté par un couvre-chef, et quand ton fils le vit pour la première fois, il évoqua ton souvenir, que tu ne sortais pas sans chapeau, alors que les soixante-huitards préféraient la casquette. Ce fut d'ailleurs cette remarque qui me fit réaliser à quel point la mode avait repris les motif de ton temps. Et à quel point, moi aussi, je prenais goût à cette mode rétro.

C'est pour toute ces raisons, et peut-être d'autres encore inconsciente, que je regrette de ne t'avoir jamais parlé, j'aurais souhaité te parler d'adulte à adulte, te montrer ce qu'est mon monde à moi, savoir ce que tu en aurais pensé.

Je ne t'ai pas connu, mais tu me manques.

(première publication : 16/4/2011)

lettre au grand-père

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