Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L ' O N A N E U R
3 janvier 2013

futur moi (premier chemin)

anoPainting_reproduction_Magritte_The_Son_of_Man

 

 

Jusqu’ici, la route était linéaire, caillouteuse, cahoteuse, j’avançais pieds nus, l’odeur du sang m’est parfois montée à la gorge, se coagulant vite, ne laissant que des cicatrices. Avec le temps, personne ne guérit, le monde se couvre de cicatrices, jusqu’à ce qu’enfin, l’ensemble des blessures ne se rouvre d’un seul coup, dans une douleur aussi violente que réparatrice.

 

Aujourd’hui, j’ai besoin de t’écrire, même si je ne sais pas à qui je m’adresse. Qui es-tu ?

 

Tout ce que je sais, c’est qu’un croisement s’ouvre, avec pour choix deux pistes. La première est toute dessinée, j’en connais le tracé, elle est éclairée, dégagée, mais médiocre. Tellement médiocre. Je suis absolument conscient du manque d’honneur qu’il y a à la prendre. Tout le monde la prend, c’est si facile, comme un train sur des rails.

 

Tout droit, ce n’est que le prolongement de ce que j’ai traversé depuis le début. Ni plus ni moins. Il y aura quelques pierres en travers du chemin, sans aucun doute, mais l’inertie me fera avancer sur cette pente douce vers cette plage, et cette mer qui attend tout les êtres humains. La mort. Paisible.

 

Si tu as emprunté cette routine affligeante de banalité, sache que je te méprise, tu ne mérites pas ce courrier, seulement mon plus grand mépris. C’est un peu triste, au final. Tu auras fait carrière, auras eu des enfants, une femme, une maison pas trop grande ni trop bien placée. Peut-être seras-tu bien placé dans ta petite entreprise sans histoire, mais je n’en ai rien à faire, ça ne m’intéresse pas. Qui est-ce que ça peut intéresser, de toute façon ? C’est d’une telle pauvreté, d’une telle indigence.

 

Quels prétextes avancer ? Manque de temps, trop de travail ? Ce n’est que la volonté qui fut absente. La force. Les perdants trouvent des excuses, de toute manière. Quoi qu’il en soit, j’ai une idée assez précise de ce que sera l’échec de ta vie. Tu n’as pas une petite idée ? Échouer dans sa vie est dans ma bouche synonyme de réussir sa vie pour les autres : grimper les échelons d’une carrière sans intérêt jusqu’à ce que la retraite mette un terme aux fébriles et insignifiants efforts de ta personne. Étourdi, et abruti par ton application à brasser de l’air, il ne te restera plus qu’à éprouver une fierté vulgaire en te retournant vers l’édifice de carte érigé.

 

Tu auras été lâche, peut-être le suis-je déjà, c’est ce que tu répondras à ce courrier. Crois bien, en tout cas que je te crache à la face, ta vie aura été si plate que ce ne sera pas compliqué de t’atteindre de mon venin.

 

Lâche, infâme, traître. Tu as abandonné tout ce en quoi je crois aujourd’hui. Peut-être continues-tu à écrire des phrases sans but pour le plaisir de faire subsister les vapeurs fantomatiques de fantasmes auxquels tu ne croies plus le moins du monde. Te sens-tu coupable ? J’imagine que non, mais j’espère qu’au fond de toi, oui. J’espère que chaque jour que le calendrier fait, un goutte-à-goutte acide te ronge les tripes comme une trop longue abstinence peut ronger un homme qui s’impose un jeûne qu’il n’a pas souhaité.

 

Mais rien ne pourrait te punir avec autant de force que ce que je voudrais faire. Tu es trop éloigné de mes aspirations. Peut-être même est-ce que tu te complais dans ta réussite professionnelle piteuse, que tu souris face à la seule trace que tu laisseras sur cette planète : tes enfants. Quelle dérision. Ils se souviendront de ton nom à ta mort, mais leurs enfants auront déjà plus de mal à remettre une série de lettres sur les photos de ta jeunesse. Que dire de tes arrières-petits-enfants ? Qui seras-tu pour eux ? Une pincée de photos usées, un souffle impénétrable. Il aura suffi de trois générations pour que tout le monde t’ait oublié. À peine un siècle et tu ne deviens qu’une vague qui s’écrase mollement, sans reflet sur une plage éternelle.

 

Tu auras été perdu, dans une deuxième mort.

 

Comme tout le monde dans ta fange, tu seras mort deux fois. La première fera pleurer tes enfants (avant que l’héritage ne leur rende le sourire), la seconde ne sera célébrée par aucun curé en manque de culte. Personne ne portera le deuil. Un deuxième enterrement qui se fait dans la plus vaste des cathédrales, mais avec personne, jamais personne.

 

anonyme

 

Publicité
Publicité
Commentaires
E
La perfection n'existe peut être pas mais là j'aime beaucoup ton texte.<br /> <br /> Seulement le début et la fin sont vraiment différents je ne sais pas quoi en dire.<br /> <br /> Pourquoi c'est si important pour toi de vouloir laisser une trace sur cette terre?
L ' O N A N E U R
Publicité
Newsletter
L ' O N A N E U R
Visiteurs
Depuis la création 127 242
Publicité