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L ' O N A N E U R
24 avril 2012

Tout les hommes sont mortels

L'homme est un éternel insatisfait, les blonds préféreraient être bruns, les petits préféreraient être grands, les mortels préféreraient être immortels. Ce souhait est d'ailleurs le plus présent dans l'inconscient collectif, divisant la population en deux catégories: ceux qui se laisseraient tentés, et ceux, plus philosophes, qui en parlent comme s'il s'agissait d'une malédiction. Le débat reste cependant vain, car, comme l'affirme Simone de Beauvoir dans l'un de ses romans, tout les hommes sont mortels.

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Ce livre confronte deux personnages: une jeune comédienne, Régine, aux yeux pétillants qui a goût à la vie, et veut en profiter à fond, et un homme taciturne, Fosca, qui n'attend rien de son passage sur Terre. Le contraste saisissant entre les deux protagonistes s'explique par leur écart d'âge relativement important: Alors que l'actrice a à peine 20 ans, son interlocuteur est né au 13e siècle, et malgré toutes les expériences qu'il a vécu, il est fatigué de vivre. C'est bien là que réside l'intérêt de leur relation, confronter une gamine à peine adulte à un être immortel qui n'est plus vraiment vivant parce qu'il l'a été trop longtemps.

 

Pourtant, il fut par le passé aussi vivant que Régine, c'est d'ailleurs pour cette raison qu'il a accepté de boire la potion d'immortalité qui lui a été proposée. Il rêvait d'un grand avenir à la tête de sa patrie. A ses débuts, il remporta de grandes victoires, mais celles-ci se changeaient, par le passage implacable du temps, en défaites. La chute d'une cité concurrente renforçait un ennemi plus grand encore. La première leçon que les innombrables années apprendront à Fosca est qu'il n'y a jamais de victoires définitives, et l'étroitesse d'une vie d'homme a ceci d'intéressant qu'elle permet de s'arrêter avant que la roue tourne.

 

«Si l’on vit assez longtemps, on voit que toute victoire se change un jour en défaite.» (Simone de Beauvoir)

Son parcours le laisse de plus en plus insatisfait, blasé d'avoir trop vu et de ne pouvoir agir. Au fil du temps, il réalise que son expérience ne lui sert à rien, car il est en définitive seul à s'enrichir des expériences de sa vie sans fin. L'enchaînement des diverses périodes de sa vie est aussi très intéressante, après avoir personnellement guerroyé, il devient conseiller de guerre de Charles Quint. Son parcours suit l'histoire du monde, et après l'engouement des grandes découvertes, il s'attarde sur la science de salon des encyclopédistes. Ici encore, le lecteur constate le détachement progressif de Fosca sur tout ce qui fait l'intérêt de son monde; de commandant, il passe à conseiller; d'explorateur, il devient mondain. La dernière période dans laquelle l'immortel s'implique est la révolution de 1848, qui fut un échec cuisant pour les révoltés, et un coup de grâce dans la foi en la vie de Fosca.

 

Outre la grande Histoire, Simone de Beauvoir nous dépeint l'histoire amoureuse de son personnage surprenant. La malédiction de l'immortalité condamne la victime à ne connaître que des histoires d'amour épisodiques, le mariage, union jusqu'à la fin ne veut plus rien dire quand l'un des conjoints ne connaîtra jamais cette fin. Le veuvage éternel est sans doutes la pire des malédictions, et face à cette réalité, les femmes sont à la fois angoissées et attirées. Comment Fosca, qui a connu de nombreuses femmes, et en connaîtra d'autres au cours des siècles a en effet de quoi s'inquiéter, peut-il aimer véritablement? Pour répondre à ce problème, Fosca décide vite de se fermer à l'amour, pour éviter de souffrir et de faire souffrir.

 

Sans la crainte de la mort, il n'y a plus aucune raison de vivre.

 

Tous les hommes sont mortel est une très fine analyse de ce que pourrait être l'immortalité, et de la malédiction qu'elle constitue, tarissant progressivement les aspiration de l'homme, et annihilant ses désirs les uns après les autres, et détruisant ce qui fait de lui un homme véritable, pour n'en faire qu'un fantôme désabusé. Malgré cet état de fait, la clôture de l'ouvrage nous laisse face à notre mortalité, et les dernières pages nous décrivent Fosca qui reprend son interminable chemin à travers les siècles, que rien ne pourra arrêté, mais que nous, pauvres mortels, ne pourrons jamais connaître. Le point final est une ultime affirmation: tout les lecteurs sont mortels.


(première publication : 24/2/2010)

(paru dans Sortie de Secours n°18)

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